Djerba : témoignage d’un mode d’occupation d’un territoire insulaire

 

Le bien en série de Djerba : témoignage d’un mode d’occupation d’un territoire insulaire est l’exemple éminent d’organisation spatiale basée sur un schéma de peuplement dispersé et de système socio-économique associé qui ont évolués entre le IXe et le XVIIIe siècle et reflétaient une relation symbiotique entre des communautés de diverses cultures et confessions qui ont coexisté paisiblement à Djerba et adapté leur mode de vie aux conditions et aux restrictions de leur environnement naturel pauvre en eau.

Ce schéma élaboré de peuplement et d’occupation des sols, qui n’était ni totalement urbain ni totalement rural, s’est développé en réponse à une conjugaison de facteurs environnementaux, socio-culturels et économiques, et s’est étendu sur tout le territoire de l’île. Au cœur de ce système était la combinaison des établissements dispersés et de faible densité de type rural (quartiers organisés selon le système de menzel-houma, typique des Ibadites, alliant les lieux de vie aux activités économiques familiales) et des ensembles plus denses de type urbain (quartiers résidentiels habités par les communautés juives et quartier du marché dédié aux échanges commerciaux) qui, ensemble, constituaient une agglomération unique sur l’île.

La houma (quartier), composée d’un certain nombre de menzel (domaine familial), était une entité économiquement autonome qui accueillait des activités agricoles et artisanales, représentant à petite échelle l’organisation sociale et économique de l’ensemble de l’île. Les houma étaient reliées les unes aux autres, ainsi qu’aux lieux de culte de l’île, au principal centre de commerce et d’échanges, et aux quartiers résidentiels, par un réseau de routes élaboré.

L’orientation défensive de Djerba a profondément influencé son architecture. Le houch (une unité d’habitation) de forme massive au sein de menzel était dépourvu d’ouvertures sur l’extérieur et flanqué de tours angulaires. Les nombreuses mosquées de l’île ont aussi été construites en raison de l’insécurité permanente. Avec leurs formes trapues et ramassées, leurs façades ponctuées de meurtrières et leurs terrasses au pourtour crénelé, elles étaient souvent des lieux de refuge et de résistance. Plusieurs mosquées jalonnent le pourtour du littoral, à portée de voix les unes des autres, pour constituer une première ligne de défense avancée et des points de surveillance et d’alerte ; d’autres, fortifiées et d’allure massive, forment une seconde ligne de défense arrière ; d’autres encore, parfois troglodytiques pour servir essentiellement de refuge, était dispersées à l’intérieur des terres.

Ce mode d’utilisation traditionnelle du territoire insulaire combiné aux éléments de la vie quotidienne des habitants, guidés par un impératif de défense et d’autosuffisance, rappellent les périodes tumultueuses de l’histoire millénaire de Djerba et offrent aujourd’hui une remarquable illustration de l’adaptation de la population aux contraintes de son environnement.

Intégrité

Malgré les bouleversements sociaux, culturels et économiques que l’île a connus au cours des dernières décennies dus, entre autres, à l’essor de l’industrie touristique, l’évolution des modes de transport et d’habitat et l’abandon partiel de l’agriculture, Djerba a conservé, d’une manière générale, son intégrité, bien que celle de certains éléments constitutifs individuels a été compromise. L’intégrité du bien pourrait être renforcée par l’inclusion, dans ses limites, des zones côtières inhabitées et des oliveraies, étayant ainsi la justification de la valeur universelle exceptionnelle de Djerba. Les composantes du système de menzel-houma ainsi que les fragments de la trame du réseau viaire reliant les houma sont toujours compréhensibles à travers les éléments constitutifs du bien pour illustrer le caractère dispersé des établissements de type rural.

Les ensembles plus denses de type urbain qui ont vu évoluer leur tissu urbain, ont également conservé assez d’éléments structurels et architecturaux pour exprimer leurs caractéristiques principales. L’état de conservation de la plupart des mosquées, régulièrement restaurées, est satisfaisant ou acceptable, tout comme celui des autres éléments architecturaux majeurs du bien tels que les fondouks (établissements d’hébergement de type caravansérail) ou autres édifices religieux (la synagogue La Ghriba et les églises catholique et orthodoxe). Les conditions d’intégrité générales du bien restent fragiles et nécessitent une vigilance accrue et la mobilisation de tous les acteurs qui veillent à sa sauvegarde.

Authenticité

En dépit d’importantes mutations, Djerba : témoignage d’un mode d’occupation d’un territoire insulaire a conservé son authenticité. Le schéma d’occupation des sols et de peuplement original peut encore être confirmé dans les éléments constitutifs, bien que l’authenticité des houma était compromise par les subdivisions de parcelles. Les composantes architecturales du bien ont majoritairement conservé leurs formes et leurs matériaux mais leurs fonctions initiales ont été modifiées pour plusieurs d’entre eux.

Quelques menzel continuent à assurer leur fonction d’origine, un grand nombre d’entre eux étant utilisés comme résidences secondaires. De nombreuses mosquées continuent d’être utilisées comme lieux de culte, mais ont perdu leur fonction de centres communautaires, d’institutions éducatives ou de structures de surveillance et de défense. Dans les ensembles de type urbain, le processus de gentrification peut être observé, où les espaces résidentiels sont transformés à des fins touristiques. Le paysage naturel qui fait partie du bien a subi des perturbations.

Éléments requis en matière de protection et de gestion

Djerba : témoignage d’un mode d’occupation d’un territoire insulaire étant une série complexe d’espaces publics et privés de différentes typologies, mais aussi de nombreux édifices répondant à différentes fonctions, sa protection juridique repose sur l’association de plusieurs instruments réglementaires qui couvrent non seulement le tissu urbain et le bâti, mais aussi les zones côtières, les terres agricoles, les politiques de l’environnement et du développement du tourisme.

Le Code du patrimoine archéologique, historique et des arts traditionnels (adopté le 24 février 1994) assure la protection des ensembles historiques et traditionnels et des monuments historiques. Sur les vingt-quatre monuments inclus dans les limites du bien, huit bénéficient d’une protection juridique au titre de monuments historiques nationaux. Un processus légal est en cours afin d’accorder aux monuments restants une protection juridique suffisante. Leurs dossiers sont en préparation et seront soumis à la Commission nationale du patrimoine (décret n°1475 du 24 juillet 1994). Les sept sites du bien (cinq représentant des portions d’établissements dispersés et de faible densité de type rural, et deux intégrant des parties de centres de type urbain, notamment les parties du centre historique de Houmt-Souk et les vestiges d’un quartier résidentiel de Hara Sghira) bénéficieront d’un décret créant des aires protégées conformément au Code du patrimoine (art. 6) et au Code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme (CATU).

Le Code de l’urbanisme (adopté le 28 novembre 1994) accorde un haut niveau de protection à l’île de Djerba dans son intégralité, fondé sur la production de documents juridiques de planification pertinents et des restrictions de zonage particulières. L’élaboration en cours d’un Schéma directeur d’aménagement de la zone sensible de l’île de Djerba (SDAZS) adapté est le cadre principal pour une protection intégrée et un développement durable de l’île tout en assurant la sauvegarde du bien.

La Loi sur les terres agricoles (décret de 1983) est un outil indispensable à la protection et la gestion des établissements dispersés et de faible densité, ainsi que des terres agricoles incluses dans le bien. Cette mesure de protection a été renforcée par l’établissement de la Carte agricole en 1985. La protection des zones côtières est garantie par la Loi n°95-73 du 24 juillet 1995 sur le Domaine public maritime (DPM), dont les servitudes sont fixées par le Code de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme (CATU) et la Loi n°75-16 du 31 mars 1975, promulguant le Code de l’eau et le Domaine public hydraulique (DPH).

Des efforts sont à poursuivre pour améliorer le système de gouvernance du bien et créer des structures de gestion adéquates qui prendront en considération les différents détenteurs de droits et parties prenantes, ainsi que dans la mise en place de mesures de conservation urgentes pour la préservation du bien.

S’agissant du système de gestion du bien, la consultation menée au sein du Gouvernement et avec les autorités régionales et locales a conduit à l’adoption, par le ministère des Affaires culturelles, d’un instrument pour assurer une coopération fructueuse entre tous les acteurs publics et privés concernés. Cet outil consiste en deux décrets ministériels, l’un établissant le Comité de pilotage du bien impliquant tous les ministères et les instances régionales et locales concernés ; l’autre établissant l’Unité de gestion du bien, en tant qu’organe opérationnel exécutif, formé d’une équipe pluridisciplinaire de représentants locaux des institutions nationales et régionales, sélectionnés en fonction de leur expertise et de leur expérience.

 

Source : UNESCO

La Convention du patrimoine mondial a pour objet la reconnaissance des sites « de Valeur Universelle Exceptionnelle » comme patrimoine de l’humanité, et qu’il importe de protéger et de transmettre aux générations futures.

La Valeur Universelle Exceptionnelle (VUE) retenue pour le dossier de candidature de Djerba est un bien en série (Menzel, Houch, mosquées, fondouks, huileries …).

Le bien en série proposé pour inscription est composé de :

A- 8 zones continentales

Dont deux à mode d’occupation dense (Hara Sghira et centre ancien de Houmt Souk), 5 à mode d’occupation suburbain (TemlelKhazrounSedghièneGuechéineMejmej) et une zone côtière inhabitée.

Les zones rurales sont situées au centre de l’île et forment un croissant qui traduit l’extension de la fertilité du sol et du sous-sol (présence d’une nappe phréatique douce). Ce croissant prend naissance du côté ouest depuis le plateau de Mejmej et Oued Zebib dit «Dhahrat Adloun» pour finir dans la zone orientale de l’Île à Temlel au sud de la ville de Midoun en passant par les terres agricoles de la Hara et son environnement immédiat, Sedghiène, Guechéine et Khazroun.

B- 24 monuments

Les monuments proposés à l’inscription sont implantés partout sur l’île et touchent à l’ensemble du territoire avec une concentration qui suit géographiquement le croissant fertile.

Les monuments proposés sont : Les mosquées : Sidi SalemSidi SmainTajditAbou Messouer (Al Jamaa El Kebir)CheikhSidi JmourMoghzelImgharGuellalaSidi YetiLoutaEssalaoutiEl FguiraTlakineMedrajenEl BessiFadhlounBerdaouiWelhiSidi ZikriMthaniyaBen BianeSynagogue La Ghriba et l’Eglise Saint Nicolas.

Ce bien en série (plusieurs sites disséminés) est constitué à la fois, d’établissements humains et de paysages culturels, témoins d’un mode éminent d’occupation du sol et de la longue et intime relation entre les Djerbiens et leur environnement.

La collégialité et l’esprit d’équité animent les pratiques religieuses et sociales des Ibadites, l’absence d’ostentation de leur mode de vie est caractéristique et perceptible jusque dans l’austérité des mosquées. Ils font preuve également d’ouverture au pluralisme ethnique et religieux.

Ce patrimoine inestimable doit être impérativement préservé et valorisé dans les meilleurs délais.

L’inscription de Djerba sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO apportera sans conteste une notoriété et une valeur ajoutée à l’île, un atout important qui aura un impact positif aussi bien sur le tourisme tunisien que sur la population locale notamment la jeune génération.

L’équipe scientifique avait mis tout en œuvre pour promouvoir le dossier de candidature soumis le 1er février 2022 au Centre du patrimoine mondial à Paris.

Le 18 septembre 2023, Djerba a été officiellement classée sur la Liste du Patrimoine Mondial de l’Humanité lors de la 45e session élargie du Comité du patrimoine mondial en Arabie Saoudite.

Parcours de la candidature

 

Source : ASSIDJE

Photos des sites classés Patrimoine Mondial UNESCO

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